Investissement responsable et Droits Humains : le rôle de l'analyse des controverses

Article de recherche - Clinique de droit de Sciences Po et EthiFinance

08/07/2022

La prise en compte des Droits Humains dans l’analyse des controverses ESG (i.e. portant sur des enjeux Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance) est fondamentale. L’analyse et le suivi des controverses, en supplément de la note ESG construite sur les éléments déclaratifs des sociétés, sont des indicateurs efficaces permettant d’orienter les décisions d’investissement. Nous nous sommes intéressés au cadre réglementaire international relatif aux Droits humains, au cadre juridique appliqué à l’investissement responsable et nous avons mis en lumière les méthodologies pouvant être déployées par les agences de notation extra-financières pour intégrer les Droits humains dans l'évaluation des controverses ainsi que les limites éventuelles associées à ces méthodes.

Depuis 2017, le cadre réglementaire relatif aux Droits humains évolue rapidement en Europe. La France et l’Allemagne, précurseurs de ces évolutions, ont mis en place les premières mesures coercitives au niveau national. En France, la LOI n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance et l’article 1833 du Code civil français, concernant la prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise dans la gestion de son intérêt social.  Le “Supply Chain Due Diligence Act”, exigeant l’identification et l’évaluation des risques afin de garantir le respect des parties prenantes et de l'environnement, fut initié en Allemagne au cours de l’année 2021. A l’échelle européenne, la Commission Européenne a intégré la prise en compte des Droits humains sur l’ensemble de la chaine de valeur en Janvier 2022 avec la Directive « Corporate Sustainability Due Diligence » (amendement de la directive (UE) 2019/1937).

Le cadre juridique relatif aux Droits humains s’est développé outre Atlantique également. Nous observons toutefois une divergence dans la définition des sociétés soumises à ces réglementations : les lois américaines se concentrent avant tout sur les sociétés opérant dans des secteurs à haut risque tandis que les lois européennes s’appliquent à toutes les sociétés, indépendamment de leur secteur.

De plus, des standards internationaux tels que les Objectifs du Développement Durable, le Global Compact des Nations Unies, ou encore les Conventions Fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) offrent un cadre universel favorisant les actions volontaires dans ce domaine. Nous noterons qu’il convient toutefois de trouver un équilibre entre hardet soft law afin de garantir que la loi réglemente ces questions tout en laissant la place à une approche novatrice des Droits humains.

De nombreuses initiatives tendent à se développer mais les Droits humains ne font pas encore l’objet d’une législation spécifique pour les investisseurs, bien qu’ils soient souvent intégrés comme principes généraux dans d’autres réglementations (par exemple, dans la Taxonomie Verte de l’Union Européenne ou la « Sustainable Finance Disclosure Regulation »).

Sur le plan des normes européennes, nous observons l’émergence du principe de « double matérialité ».

Ce principe se traduit non seulement par la prise en compte de l’impact des enjeux ESG sur le développement de l’entreprise, sa performance et ses parties prenantes mais également par l’évaluation de la responsabilité de l’entreprise sur les impacts négatifs (et positifs) de ses activités.

Les critères d’analyse liés aux Droits humains sont généralement intégrés dans le pilier social (S) des évaluations extra-financières. Toutefois, une redéfinition de ce qu'est un « droit humain » et de ses implications à tous les niveaux de l'entreprise, notamment au sein des critères environnementaux (E) et gouvernance (G) est nécessaire pour atteindre une approche plus transversale du cadre ESG.

Nous pouvons mettre en lumière trois points d’attention principaux lors de l’évaluation des Droits humains dans l’analyse de controverses :

  1. Pour inclure les Droits humains de façon adaptée dans l’analyse de controverses, considérer le principe de double matérialité s’avère essentiel ;
  2. Il apparaît également utile d’étudier la réponse d’une entreprise à une controverse comme élément de distinction entre deux controverses de la même nature ;
  3. De plus, il est important de vérifier si les mesures relatives aux Droits humains adoptées par les entreprises avant l’apparition d’une controverse répondent au niveau de diligence raisonnable requis par les normes nationales et internationales.

Nous pouvons toutefois exposer des limites à l’intégration des critères de Droits humains dans l’analyse des controverses. Sur le plan opérationnel, la définition d’un Droit humain et des parties prenantes à prioriser est un élément clé de l’analyse, sur lequel les analystes au sein des agences de notation doivent trouver un consensus. Cependant, le manque de comparabilité des critères d’évaluation des Droits humains peut complexifier ce processus. Une méthodologie claire et objective pour évaluer les éléments pris en compte, incluant des considérations normatives, doit ensuite être établie. Un tel processus d’analyse exige d’utiliser un maximum de sources et de données et requiert des analystes des compétences approfondies en matière de recherche, de droit, et de connaissance du cadre juridique international pour la protection des Droits humains.

Bien que des contraintes opérationnelles puissent être identifiés, des méthodologies d’analyse des Droits humains peuvent être développées et des évolutions s’opèrent tant sur le plan réglementaire qu’à l’échelle des initiatives prises par les entreprises et investisseurs. Ces perspectives favorables contribueront ainsi à une approche plus précise des Droits humains dans l’analyse des controverses.

Afin de répondre à ces enjeux croissants, EthiFinance s’est appuyé sur cette collaboration avec la clinique de l’Ecole de Droit de Sciences Po pour définir sa méthodologie d’analyse des risques de violations des Droits humains par les entreprises de sa couverture. Le service de controverses d’Ethifinance couvre actuellement plus de 1200 PME/ETI européennes. Les controverses sont analysées qualitativement selon leurs impacts sur l’entreprise et sur les parties prenantes concernées. Un score agrégé par entreprise, en cinq niveaux de gravité, est fourni mensuellement. Une étude des violations de standards internationaux – le Global Compact, les Conventions fondamentales de l’OIT et les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales – est incluse dans l’analyse, pour chaque société étudiée.  En plus de permettre aux investisseurs de configurer des seuils d’exclusion ou d’engagement pour leurs fonds, cette offre leur permet de répondre à un PAI (Principal adverse impacts) obligatoire du nouveau règlement SFDR concernant les violations des principes du Global Compact des Nations Unies (UNGC).